Chronologie occidentale sur le travail
Il n’y a pas qu’une seule manière de concevoir le travail. En fait, notre vision productiviste, souvent moraliste, saupoudrée d’un « souci du bien-être » est plutôt récente. À l’inverse, la culpabilisation de ceux qui ne travaillent pas existe dure depuis des siècles.
Antiquité classique (800 av. J.-C. à 476 ap. J.-C.) : En Grèce et à la Rome antique, le travail est associé à la nécessité et non à la vertu. Le travail, qui est toujours manuel, est délégué aux esclaves, aux femmes et aux métèques (étrangers résidant à Athènes). Il est considéré comme dégradant pour les citoyens libres. Ces derniers font de la politique ou de la philosophie, qu'ils ne nomment pas travail.
- Aristote soutient que certains hommes sont naturellement destinés à être esclaves, que les femmes sont inférieures aux hommes, et qu’elles ne sont pas faites pour diriger.
- L'antiquité connaît plusieurs révoltes d'esclaves, dont la célèbre révolte de Spartacus en -73 av JC.
Moyen âge (476 à 1492) : Le concept de « travail » n'est toujours pas unifié. Considéré nécessaire à la vie humaine et comme une pénitence, il s'impose par la religion et la force. Le système féodal divise la société en trois castes : nobles, clergé et tiers-état. Seuls les paysans et les serfs (qui font la majorité du travail manuel) travaillent. Les femmes sont vues comme inférieures, même si les femmes nobles sont généralement exemptées de travail manuel.
- Alors qu'Augustin d'Hippone, au IVe siècle, critique les activités marchandes, Thomas d'Aquin, neuf siècles après, n'y voit plus un pêché, si elles sont dans l'intérêt général.
- France 1358, Angleterre 1381, Russie du XIVe, etc. Les révoltes paysannes sont courantes et presque à chaque fois réprimées dans le sang.
Renaissance (1492 à 1650) : Une période marquée par l'intérêt pour les sciences, les arts et l'exploration. Des activités intellectuelles que seuls ceux qui sont fortunés ou soutenus par le mécénat de la noblesse ou de l'église peuvent pratiquer. La majorité du tiers-état reste engagée dans l'agriculture et le travail manuel, qui est toujours largement dévalorisé. L'exploration du monde conduit à l'établissement de colonies et à l'expansion de l'esclavage, en particulier dans les Amériques.
- Dans "L'Utopie" (1516), Thomas More décrit une île fictive où il n'y a pas de propriété privée, où l'on ne travaille que 6h par jour, et où l'on interdit l'oisiveté.
- L'ordonnance Royale de 1547 (en Angleterre) force les vagabonds au travail, les qualifiant de « membres inutiles de la communauté » voir « d'ennemis de la chose publique ».
Les lumières (1685 à 1789) : Même si l'époque connaît des avancées philosophiques, politiques et morales, la conception du travail ne change pas beaucoup. Dans les classes dominantes, l'idée que le travail et une corvée recule, mais reste majoritaire. Les philosophes qui ne souffrent pas au travail n'en font pas une question.
- Rousseau développe son concept de « Perfectibilité » et décrit le travail comme une voie d'amélioration personnelle et sociale.
- La France abolit l'esclavage en 1794 à la suite de la déclaration des droits de l'homme. Napoléon le rétablit en 1802.
Industrialisation (1760 à 1840) : La Révolution industrielle transforme radicalement le travail. Les nouvelles technologies permettent la production de masse, ce qui conduit à une urbanisation rapide et à une augmentation de la classe ouvrière. Le salariat devient la norme : on compte le temps passé et la productivité, ce qui conduit à de nouvelles formes d'exploitation. L'émergence de mouvements ouvriers et de réformes sociales modifiant les conditions de travail et les droits des travailleurs.
- L'Angleterre crée les "workhouse" en 1834. Des camps de travail « pour les pauvres » (femme et enfants compris) où ils logent et travaillent, en échange de nourriture.
- L'esclavage est définitivement aboli en France en 1848 et les anciens propriétaires sont largement indemnisés. Pas les esclaves, qui doivent désormais payer loyers et repas.
Époque moderne (1840 à 1945) : Industrialisation croissante et urbanisation rapide. Les conditions de travail dans les usines sont difficiles et dangereuses. Les travailleurs, non sans mal, commencent à s'organiser en syndicats. On entre dans le consumérisme et la surproduction. Les femmes sont utilisées comme variable d'ajustement par les gouvernements. Pétain, par exemple, interdit l'embauche des femmes mariées dans la fonction publique. Le travail forge l'identité.
- Friedrich Nietzsche, écrit en 1883 « Le travail est la meilleure des polices ».(1)
- En 1910, Beveridge considère que les progrès du marché du travail sont contrariés par les travailleurs intermittents. Il veut forcer les pauvres à travailler plus.
Période contemporaine (1945 à 2007) : Après la Seconde Guerre mondiale, le travail connaît de nombreux changements. Les luttes syndicales et le traumatisme de la guerre permettent d'améliorer les conditions de travail. Mais, la crise pétrolière freine le mouvement et fait apparaître le chômage de masse. Le travail se « flexibilise » et devient de plus en plus précaire.
- En 1981, Reagan arrive au pouvoir. C'est le début de l'ère néolibérale et de la mondialisation. La mise en concurrence des travailleurs du monde entier.
- André Gorz en 1988 soutient qu’il faut réduire la place du « travail » comme marchandise pour favoriser l’émergence d’une société où le travail (au sens d’œuvre) sera libérateur.(2)
L'ère numérique (depuis 2007) : Aujourd'hui, le travail est de plus en plus caractérisé par la précarité, avec une augmentation du travail à temps partiel non choisi, du travail indépendant, des CDD et contrats courts. Les nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle et la robotique, sont en train de transformer le travail, avec des implications incertaines pour l'avenir. Malgré les siècles, les personnes sans travail sont appelées « inactifs » ou « sans activité » comme si elles ne faisaient rien.
- En 2015, Uber lance Uber Eats à San Francisco. Pendant la crise Covid, pour couvrir la demande, des centaines de livreurs sont engagés illégalement et surexploités.
- Le revenu universel, qui détacherait les besoins sociaux du travail, est expérimenté dans plusieurs régions du monde, plutôt avec succès.
(1) dans Ainsi parlait Zarathoustra, publiée entre 1883 et 1885.
(2) dans Métamorphoses du travail (1988), Ed. Galilée, 304p