RETOUR DE LA COP 26 ET GUEULE DE BOIS
Paul Ariès est politologue, romancier et rédacteur en chef de la revue Les Zindigné(e)s. Il publie régulièrement une chronique pour Demain en mains.
L'écologie sociale et populaire n'a pas seulement perdu la bataille des idées mais celle des imaginaires, ce qui est beaucoup plus grave. Je ne sais pas si la France est plus à droite ou à gauche que jadis, mais ce qui est certain c'est que les médias dominants ont déserté les thèmes susceptibles de promouvoir l'égalité sociale, la justice écologique et la démocratie réelle. Ils préfèrent imposer leur conception de l'écologie, une écologie devenue subitement techno-scientiste, une écologie Eldorado des firmes, une écologie soluble dans nos modes de vie actuels. La COP n'a pas été seulement une belle opération de greenwashing mais un pas de plus vers une nouvelle écologie productiviste rompant avec l'écologie politique que j'aime, celle qui ne croit pas que plus soit nécessairement égal à mieux. Je ne reproche donc pas aux COP de ne pas aller assez loin mais d'aller dans le mauvais sens. Le Système profite de ces grandes messes internationales pour imposer son propre récit, c'est-à-dire sa lecture des causes et ses remèdes. C'est ainsi que le nucléaire retrouve grâce, tant à droite qu'à gauche de l'échiquier politique, c'est ainsi que la voiture électrique et le moteur à hydrogène sont promus comme nouvel horizon, c'est ainsi qu'on prétend se passer des campagnes, car c'est bien connu les culs-terreux entravent les bonnes résolutions écolos des bobos ! Quel candidat à l'élection présidentielle aura le courage politique de dire que les fermes usines urbaines et l'agriculture cellulaire constituent des fléaux pour l'humanité et pour la planète ? Quel candidat osera dire que l'interdiction prise en octobre de l'élevage en plein air des volailles, sous prétexte de lutte contre la grippe aviaire, est funeste pour les paysans, les mangeurs et les animaux ?
"Ce dont nous avons besoin ce n'est pas tant d'opposer des faits et des chiffres à nos adversaires que d'inventer un nouvel imaginaire." - Paul Ariès
Les émissions de CO2 n'ont jamais augmenté aussi vite depuis qu'on parle d'écologie et elles ne sont pas prêtes de reculer d'après les experts de l'ONU. Elles ne constituent d'ailleurs qu'un aspect de l'effondrement écologique, celui que les puissants acceptent de regarder car ce front est un business. Mais quid de l'effondrement de la biodiversité, de l'acidification des océans, de la qualité des terres ? L'alternative n'est pas plus du côté de la finance "verte" que des innovations technologiques : la 5G n'est pas plus écolo que la 4G et la fausse viande est aussi condamnable que la sale viande industrielle. Ce dont nous avons besoin ce n'est pas tant d'opposer des faits et des chiffres à nos adversaires que d'inventer un nouvel imaginaire. Le nôtre ne peut être fondé que sur les cultures poplaires, ces autres façons de vivre, de penser, de rêver auxquels s'opposent les puissants. Merci aux Gilets jaunes d'avoir rappelé cette vérité ! C'est pourquoi de nombreux essayistes font aujourd'hui des films ou publient des romans. Qu'avons-nous à opposer à la vision du monde qui est celle d'Ayn Rand, la gourelle du libéralisme ? Souvenons-nous que le fameux "Que Faire ?" de Lénine était un clin d'oeil au roman du même titre publié en 1863 par l'auteur russe Tchernychevski et qui marqua l'acte de naissance des socialismes. Gagner la bataille de l'imaginaire c'est répondre aux tenants de la fable développementaliste que nous ne croyons plus en leurs lendemains qui chantent, prélude à des petits matins tristes, mais que nous savons que la planète est déjà bien assez riche pour nous permettre de chanter au présent. Gagner la bataille de l'imaginaire c'est prendre au sérieux les thèses de nos adversaires, même les plus loufoques, et montrer ce qui adviendrait si leurs fantasmes passaient dans le réel... Celui de l'adaptation de la planète au moyen de la géo-ingénierie, celui de l'adaptation de l'humanité avec le transhumanisme, celui du grand remplacement de l'agriculture paysanne par l'agriculture cellulaire faiseuse de fausse-viande, de faux-lait, avant d'imposer les faux-végétaux. Pour refuser ce Meilleur des mondes qui vient, mettons-nous à l'écoute d'un déjà-là, ces mille et une alternatives qui existent de part le monde.
Après sa "Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser" (Larousse), Paul Ariès publie deux romans, l'un adulte, "Le Meilleur des mondes végans" (A plus d'un titre), l'autre jeunesse, "J'veux plus manger de viande" (Golias).