CATHY ET HERVE TREMOUREUX PAYSANS A LANOUEE EN BRETAGNE. Sobriété et liens au territoire.
Dans le monde du bio comme ailleurs, il y a de tout : des producteurs en circuits courts, d’autres en filières longues, des petites et des grandes surfaces, etc. Pour Cathy et Hervé Trémoureux, paysans à Lanouée (56), les mots d’ordre sont clairs : pas d’intrants chimiques, des filières courtes, un lien fort avec le territoire, une vie sobre et partagée avec d’autres.
Leur démarrage d’activité en 1997 est le fruit de la réflexion collective d’une petite dizaine de jeunes issus du MRJC[1] dont ils font partie et qui désirent tous créer une activité en milieu rural, dans l’agriculture, l’artisanat ou les services. Au sein du MRJC, ils réfléchissent alors à des modes de travail autonomes, collectifs, sobres et respectueux du vivant. Ils participent dans les années 1990 à des camps-chantiers, notamment à la coopérative Ardelaine en Ardèche et avec le CIEPAD (Carrefour international d'échanges de pratiques appliquées au développement) fondé par Pierre Rabhi dans l’Hérault.
Après un an et demi de recherches en Bretagne, dans l’Allier, en Mayenne et dans les Vosges, Cathy et Hervé et le collectif repèrent 33 hectares disponibles à la Tertraie, aux Forges de Lanouée dans le Morbihan. Il y a une dizaine d’autres candidats à la reprise, tous issus du territoire, qui sont intéressés uniquement par les terres, dans le cadre de projets d’extension d’exploitations déjà existantes. C’est grâce au soutien de la juriste de la Chambre d’agriculture de Vannes et du président de la SAFER[2] que Cathy et Hervé seront retenus. La juriste fait partie d’un réseau qui réfléchit à la propriété collective de la terre. « Voyant qu’on venait de réseaux militants, se rappellent-ils, elle nous a conseillé le statut de groupement foncier agricole mutuel. En un mois, nous avons contacté 300 personnes. Une partie d’entre eux ont apporté 620 000 francs pour l’achat des terres, et nous avons emprunté le besoin restant pour l’achat des bâtiments. On s’est lancés en bio mais sans le dire. Le contexte n’était pas le même qu’aujourd’hui. »
Dans un monde agricole où c’est souvent la course à l’agrandissement, ils détonnent en laissant aussitôt 5 hectares à un jeune voisin qui s’installe quelque temps après. La Grange paysanne de l’Oust démarre donc sur 28 hectares en polyculture-élevage : 5 à 6 hectares pour la culture de blés anciens et le reste pour le pâturage d’une vingtaine de vaches laitières Pies Noires Bretonnes et Montbéliardes. Près de 100% du lait est transformé à la ferme et du lait écrémé est livré à Biolait (et du lait entier en période de vacances). Le blé est transformé en farines et pains et brioches. Le chiffre d’affaires annuel est d’environ 170 000 euros et dégage quatre revenus pour Cathy, Hervé et deux salariés. 95 % est généré par de la vente directe (sur les marchés, à la ferme, par le drive paysan Clic ta Berouette et d’autres réseaux de consommateurs) et 5 % par des cantines et restaurants.
« Le SMIC est notre référence, expliquent Hervé et Cathy. On privilégie le fait de mettre du sens dans notre travail, d’être plusieurs à travailler dans la ferme et à en partager les ressources, de maîtriser notre temps de travail pour pouvoir prendre parfois des moments de pause. » Être dans les circuits courts, maîtriser la qualité depuis la production jusqu’au consommateur, ne pas dépendre de fournisseurs ou de gros clients, être à l’écoute des besoins du territoire, sont également leurs préoccupations. « Cela demande aussi que les citoyens s’impliquent, précisent Cathy et Hervé. Pour cela, le GFA est un outil essentiel ». Ils ajoutent : « Quand on s’est installés, on avait conscience que les crises étaient récurrentes dans certaines filières agricoles. On réfléchissait aussi à tout cela au sein du MRJC. On ne souhaitait pas dépendre de l’agroalimentaire ou mêmes de gros systèmes coopératifs bios. Comme nous vendons en direct, nous choisissons nos prix de vente. On en augmente parfois certains quand c’est nécessaire, mais on fait toujours en sorte qu’une partie de notre gamme soit à un prix le plus accessible. »
La Grange paysanne de l’Oust accueille régulièrement des stagiaires et a accompagné plusieurs naissances d’autres GFA, en lien parfois avec Terre de liens.
Pensent-ils que, suite à la sécheresse et aux incendies que la région a connus cette année, les habitants et agriculteurs vont prendre davantage conscience qu’il faut économiser les ressources et changer nos comportements ? Cathy et Hervé sont sceptiques : « Dès que l’on remet en cause le confort et les habitudes de travail, ça devient très difficile. Sur la question de l’eau, par exemple, il faudrait réfléchir tous ensemble. Mais les gros exploitants vont sans doute demander aux élus de renforcer les systèmes d’irrigation, épuisant encore plus les nappes phréatiques, et les élus vont sans doute suivre. Quelques-uns veulent faire autrement, mais ils ne sont pas soutenus. Il faudrait animer toute cette réflexion sur le territoire et pour l’instant personne ne le fait. » Un signe d’espoir tout de même : sur Lanouée, Guégon et Pleugriffet, il y a aujourd’hui une dizaine de maraîchers bios qui ont une démarche locale très intéressante. Les choses bougent doucement.