BASCULE ARGOAT: EXPÉRIMENTER LE "BASCULEMENT"
Précédant les appels lancés en 2022 à AgroParistech, HEC, Polytechnique, etc., l’éco-entrepreneur Maxime de Rostolan invitait en 2019 des étudiants à se retrouver dans un même lieu pour œuvrer concrètement à la transition écologique et sociale. La « Bascule » de Pontivy rassembla cette année-là plusieurs dizaines d’entre eux. Fin 2019, le lieu s’« archipelisa » en plusieurs autres, dont celui que nous découvrons aujourd’hui avec Éva et Étienne.
L’ objectif de La Bascule est de permettre à des collectifs d’expérimenter des modèles de société résilients et respectueux du vivant. Cette dynamique concerne actuellement cinq entités :
- l’Îlot vivant à Chavagne près de Rennes,
- Fertîles, école itinérante de transition,
- Bordeaux Bascule,
- la Caserne Bascule à Joigny dans l’Yonne,
- Bascule Argoat [1], près de Plouray en Centre Bretagne.
Ce dernier lieu est une ancienne blanchisserie d’une congrégation religieuse, devenue ensuite maison de retraite, puis abandonnée plusieurs années. Il est dorénavant loué à l’association Bascule Argoat pour vingt ans. 3000 mètres carrés de terrain entourent le bâtiment, bordé par un lac magnifique, dans ce Centre Ouest Bretagne peuplé de forêts.
Éva, 26 ans, y habite depuis mars 2022, après avoir démissionné d’un métier de commerciale qu’elle a exercé quatre ans ; Étienne, 27 ans, depuis mai 2020, avec un Master en gestion de projets environnementaux, et avec eux 13 autres habitants de 24 à 42 ans dont on peut découvrir en ligne les parcours et les projets.
Leur mission s’articule autour de deux axes : vivre collectivement, à Bascule Argoat, la transition écologique et sociale, et participer à d’autres dynamiques de transition sur le territoire Centre Ouest Bretagne.
- Le premier axe est mis en œuvre dans des ateliers low techs, la permaculture, l’expérimentation et la formation à une gouvernance partagée, l’écorénovation du lieu, etc.
- Le second axe consiste en une implication dans des événements locaux (« rendez-vous du dimanche », ateliers « Transithons »…), avec des écoles, dans le Conseil de développement du Pays Centre Ouest Bretagne et dans différents projets : création d’une monnaie locale, fabrication de vélomobiles avec le soutien de l’Ademe et le fab lab de Rostronen, projet de scierie mobile, participation à une société civile foncière qui rachète des parcelles de forêts, etc.
Des membres de la Bascule ont ainsi permis un apport d’un groupe citoyen aux travaux du Conseil de développement sur le Schéma de cohérence territoriale (SCOT). Un membre fait partie du comité de pilotage « Inventer demain » de la Fondation de France, pour aider à soutenir financièrement des projets bretons de transition. Chacune et chacun des 15 habitants consacre la moitié de son temps à ces projets collectifs, l’autre moitié à des projets personnels… en théorie. Car quand elle explique cela, Éva sourit et l’on comprend que, pour un certain nombre, les engagements collectifs consomment beaucoup d’énergie.
« Chaque midi, nous prenons un petit temps pour échanger les infos importantes, expliquent Éva et Étienne. Nous travaillons beaucoup notre gouvernance et utilisons le cadre de sécurité du Laboratoire du collectif de Claire Rosart. Chaque lundi, nous avons une réunion de deux heures, avec des règles d’échange que nous rappelons à chaque début de réunion. Le reste de la semaine, des "cercles" de 3 à 5 personnes prennent en charge différentes tâches : les finances, l’accueil, le jardin... »
Deux des quinze habitants actuels ont une activité professionnelle extérieure. Les ressources des autres reposent essentiellement sur des économies personnelles, les allocations chômage et le Revenu de solidarité active (RSA), à défaut de pouvoir percevoir un salaire en contrepartie du travail collectif auquel tous participent à La Bascule Argoat. Éva et Étienne estiment que « le travail que l’on fait ici est utile à la collectivité, nous sommes des sous-traitants gratuits de l’État. On devrait être rémunéré pour cela, sans reproduire pour autant le système capitaliste. Les personnes qui gagnent peu sont souvent celles qui prennent le plus soin de la planète. »
Étienne précise : « Je ne pense pas que, dans des lieux comme ici, les gens veuillent avoir le RSA toute leur vie. Ils sont en recherche de modèle économique et de ce qu’ils veulent faire de leur vie. » Éva ajoute : « la question financière est aussi celle de permettre à des personnes qui n’ont aucun revenu de participer à un projet comme celui-là. Et si on avait un revenu dédié à cela, il y aurait peut-être plus de gens qui se bougeraient pour la transition. »
La Bascule d’Argoat n’est pas un écolieu où les gens viennent vivre des années. Pour Éva, c’est une « étape de vie », de rencontres, de formation et de transformation, pour repartir ensuite vivre d’autres choses ailleurs – y compris dans un environnement proche.
À voir l’intérêt qu’une telle expérience suscite (chaque mois, les places proposées pour la semaine de découverte du lieu sont prises d’assaut), on mesure l’importance du nombre de jeunes qui veulent aujourd’hui expérimenter la transition vers des modes de vie plus sobres, plus durables et plus solidaires.