Une décroissance qui ne dit pas son nom
Dans un de ses derniers textes, André Gorz, visionnaire, écrit :« Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis cent cinquante ans. […] La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. »
Dès 1974, il interrogeait : « Que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et par là même instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature. Réforme ou révolution ? »
S’accommoder des contraintes écologiques dans une économie de croissance mène à la récession et son cortège de régressions sociales. En fait, on fait de la décroissance sans le dire. Au-delà des effets directs désastreux des phénomènes écologiques, la prise en compte de ces contraintes dans les processus industriels majore les coûts de production sans augmenter la productivité et donc les salaires et la solvabilité des acheteurs. Cercle vicieux qui, ajouté à la raréfaction des matières premières et l’affranchissement aux énergies fossiles se traduiront par une société que Gorz qualifie de barbare : « (…) Ce recul de la croissance qui dans un autre système aurait pu être un bien (moins de voiture, moins de bruit, plus d’air, des journées de travail plus courtes, etc.) aura des effets entièrement négatifs. Les inégalités se creuseront ; les pauvres deviendront (…) plus pauvres et les riches plus riches. »
Ce processus est en cours et s’appelle inflation, réduction des droits sociaux, chantage à la dette, déserts médicaux et dégradation des services publics, manque de logements sociaux, école publique à la diète… On apprend ce matin qu’une baisse annoncée de 0,5% des prévisions de croissance pour 2024 amène le ministre de l’économie à faire décroître de 10 milliards les dépenses de l’Etat.
Nous avons encore le choix, mais plus pour longtemps, entre la folie de la croissance à tout prix « fondée sur l’inégalité, le privilège et la recherche de profit » et une véritable alternative au capitalisme qui ne peut prendre forme et se concrétiser que dans « l’expérimentation sociale de nouvelles manières de vivre en communauté, de consommer, de produire et de coopérer (…) permettant de faire plus avec moins tout en élargissant l’autonomie des individus et des communautés de base » dit encore André Gorz.
Sa vision très autogestionnaire tient sa pertinence d’une part de l’échec des régimes communistes et d’autres part de l’indigence des régimes socialistes en cours de conversion à la social-démocratie. Il a rencontré en 1981 le gouvernement Mauroy en vain, pour partager sa vision d’un socialisme qui aurait pu changer nos destinées.
« La société ne sera jamais bonne par son organisation mais seulement en raison d’espaces d’autonomie, d’auto-organisation et de coopération volontaire qu’elle ouvre aux individus ». Pas sûr que nos prétendants les plus progressistes au pouvoir en soient là. Pourtant, la résolution du problème écologique beaucoup plus prégnant aujourd’hui impose cette réappropriation par les citoyens de la transition
André Gorz (1923-2007), journaliste, écrivain, philosophe).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Gorz