Quand on pense transition énergétique, on peut se décourager d’avance par l’ampleur de la tâche et la complexité de sa mise en œuvre. On peut aussi s’enthousiasmer des perspectives nouvelles qui se dessinent et des chantiers qui nous attendent. C’est ce deuxième sentiment qui prévaut après une soirée passée avec Simon Cossus, invité à Millau par Sud-Energia (1) avec sa double casquette de dirigeant d’Enercoop-Languedoc et d’ambassadeur de Négawatt, sur le thème « comment se réapproprier la question de l’énergie ? ».
Cette conférence-débat donnait l’opportunité de découvrir ou mieux appréhender le scénario Négawatt : un scénario de transition énergétique qui s’inscrit au cœur des transitions sociétales, qui se pose plutôt comme un outil d’aide aux décisions que comme un instrument de prédiction. Il ne s’agit pas d’un pur travail technique : toutes les propositions sont passées au crible des dix-sept objectifs du développement durable établis par l’ONU. C’est pourquoi l’association Négawatt s’attache à croiser les regards : elle ne comprend pas que des ingénieurs et des techniciens mais aussi des journalistes ou des sociologues.
Le scénario Négawatt s’appuie sur le triptyque sobriété-efficacité-renouvelables. Notre société doit sortir de son état d’ébriété énergétique : viser la sobriété revient à reconquérir une visibilité de nos besoins, à hiérarchiser les usages, depuis les besoins vitaux jusqu’aux activités nuisibles, et à les réguler. La sobriété passe par une révision dimensionnelle (surface à chauffer, poids des véhicules…), une modération des usages (vitesse sur autoroute(2), arrêt des appareils inutiles…) et des démarches coopératives (habitat partagé, transports en commun…). La question de l’efficacité énergétique relève quant à elle de la performance des équipements, ou de l’isolation des bâtiments, où résident encore d’importantes possibilités d’économie. Dans le scénario Négawatt, la totalité des besoins énergétiques (pondérés par ces démarches de sobriété et d’efficacité) est assurée par les énergies renouvelables - air, soleil, eau, biomasse – Simon Cossus ne manquant pas de souligner que la terre reçoit du soleil en une heure la quantité d’énergie consommée en un an.
« Comment vous situez-vous par rapport au shift project (3) ? » questionne un participant lors de l’échange. La grande différence réside dans la place du nucléaire. Car si les différents scénarios de transition s’accordent sur une nécessaire sortie des énergies fossiles, le recours à l’atome reste un gros point de divergence. En introduction Simon Cossus avait tenu à ne pas s’inscrire dans le débat, qu’il juge trop manichéen, entre pro et anti nucléaire et entre pro et anti éolien. N’empêche que sa position, et celle de Négawatt, ne souffre pas d’ambiguïté : le nucléaire est une fausse promesse. Non seulement nous n’avons ni les finances ni les compétences pour lancer un nouveau programme, mais l’uranium est aussi un fossile dont les réserves sont limitées : on ne ferait que déplacer le problème. Par ailleurs Négawatt tient pour ligne directrice de léguer aux générations futures des bienfaits et des rentes plutôt que des fardeaux…
Pour plus de cohérence l’association Négawatt, qui se concentre sur l’expertise et les plaidoyers, a fondé l’Institut Négawatt, qui accompagne collectivités et entreprises dans leurs démarches de transition, et l’entreprise Dorémi, qui propose des formations aux acteurs de cette transition pour une rénovation performante des bâtiments. L’énergie n’étant qu’un volet de la transition écologique que nos sociétés doivent opérer, le scénario Négawat devient plus pertinent si on l’associe aux scénarios Négamat, pour un usage durable des matériaux et matières premières, et Afterre, pour une production agricole souveraine et un usage soutenable des sols.
Pour cette révolution des usages, Simon Cossus n’attend pas des décisions étatiques mais mise sur l’engagement citoyen. Tel qu’il se vit à Millau avec Sud-Energia ou sur le plateau avec Bois du Larzac et Lum del Larzac (4).
Thierry Castelbou
(1) Société coopérative citoyenne portant des projets de production d’énergie renouvelable dans le sud-Aveyron. Cf GLL n°363
(2) Passer de 130 km/h à 110km/h entraine une baisse de 25 % de consommation.
(3) Association présidée par le très médiatique Jean-Marc Jancovici.
(4) Rappelons qu’actuellement, si vous prenez une part (100 euros) de Lum del Larzac, la Région abonde d’autant. C’est le moment ! (Renseignements sur Larzac.org)
DEM remercie Thierry Castelbou d'avoir autorisé la reproducion de son article paru dans Gardarem lo Larzac de mai juin 2023.