Instrumentalisation et dégradation du travail
Il n’est pas facile d’expliquer comment des penseurs du siècle dernier ont pu affirmer que nous devrions aujourd’hui ne travailler qu’une quinzaine d’heures hebdo pour vivre bien. Ils avaient simplement sous-estimé certaines malversations qui ont trompé tout le monde.
Cette vision séduisante semble d’autant plus lunaire dans notre quotidien médiatique qu’un prétendu besoin de travailler plus nous est martelé parallèlement à la chasse aux chômeurs. Masquer la décroissance par de l’endettement n’a qu’un temps et nous sommes amenés à rembourser tout en continuant de subir une décroissance qui n’en est qu’à ses débuts. Gardons bien à l’esprit cette remarque de David Graebert, auteur de “Dette. 5000 ans d’histoire” : « Les capitalistes (…) utilisent la crise de la dette comme une bonne excuse pour retourner vers quelque chose qui ressemble à de l’esclavage, où les acquis sociaux sont détruits petit à petit. »
Comment expliquer que nous ayons à nouveau été privés du Paradis terrestre à deux doigts d’être grandement libéré du travail par les machines que nous avons inventé ?
Laissons de côté les concentrations scandaleuses de richesses et de privilèges hors économie réelle dans les mains de quelques-uns, elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
Nous avons déjà parlé des bullshits jobs, ces boulots à la con parce qu’inutiles, auxquels David Graeber a consacré un livre en recueillant de nombreux témoignages de gens conscients que leur activité ne servait à rien. Pendant que les emplois productifs mécanisés disparaissaient, les professions intellectuelles seraient passées d’un quart aux trois quarts de la population active aux USA entre 1910 et l’an 2000. Il cite l’émergence des services financiers, du télémarketing, du droit des affaires, de l’administration des universités et de la santé, les ressources humaines et les relations publiques… et conclut : « De toute évidence, l’explication n’est pas économique : elle est morale et politique. La classe dirigeante a compris qu’une population heureuse, productive et jouissant de temps libre est un danger mortel. »
Mais il y a pire, qui nous mène droit à l’enfer, en ce que cette perversion pèse très lourd dans les très graves problématiques écologiques. Dans son livre “ Bon pour la casse” Serge Latouche étudie depuis ses origines, dès 1925 aux USA, les turpitudes de l’obsolescence programmée. Les objets sont volontairement conçus pour tomber en panne et être remplacés dans un délai court qui assure au fabricant des capacités de production en perpétuelle croissance. Comme souvent, au travers de manipulations mentales, les industriels malfaisants ont trompé les consommateurs en jouant sur des ressorts psychologiques amenant à comprendre que « notre toxico-dépendance aux objets contribue à expliquer pourquoi la protestation contre l’obsolescence est si molle ».
Bien placée, la marque Apple est dans le collimateur de l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) qui a obtenu en 2020 leur condamnation à une amende de 25 millions d'euros pour "pratique commerciale trompeuse par omission" concernant les batteries d'iPhone. En 2018, une de leurs plaintes dénonçait des faits de vieillissement prématuré et volontaire des vieux iPhone.
Comment conclure un problème aussi grave alors que les pouvoirs publics ferment les yeux, obnubilés par toute baisse de croissance. Preuves de plus s’il en fallait que salut ne viendra pas d’en haut.