Au Larzac, une entreprise humaine exemplaire !
De retour du rassemblement LES RÉSISTANTES 2023, organisé sur les Terres du Larzac début août autour des luttes nationales passées, présentes et à venir. Un vent froid a soufflé quatre jours sans réussir à éteindre la fièvre qui animait les participants. Et les récits passionnés allaient bon train de barnum en barnum.
Mais nous est clairement apparue, d’un point de vue global, que pour réussir la transition sociétale à laquelle nous sommes confrontés, deux axes d’actions sont à mener en parallèle pour reprendre main sur notre avenir menacé.
Les luttes sont indispensables pour freiner le système et/ou sensibiliser l’opinion aux folies « croissantistes ». Le courage de ceux qui se lèvent pour défendre le bien commun, souvent face aux brutalités policières, est remarquable. Mais avec ou sans Notre Dame des Landes, le système restera le même. Ce qu’il n’a pas réussi là, il le fera ailleurs. Un demi-siècle au moins de prise de conscience écologique en témoigne. Indispensable donc, oui, mais très insuffisant.
Il est donc nécessaire de mener de front « luttes contre et action pour », afin de prendre main sur une autre économie. Certains combats très spécifiques réussissent de manière exemplaire à conjuguer les deux pour aboutir à une véritable révolution. C’est le cas du Larzac où une grosse centaine de familles de paysans a lutté pendant la décennie 70 pour défendre les terres que l’Armée voulait s’approprier pour agrandir un camp d’entraînement.
Ils ont non seulement gagné en 1981 par l’annulation du projet, mais réalisé dans la foulée des changements de pratiques du droit de propriété et de gestion démocratique de tout un territoire. Cela reste sans équivalent à cette échelle, même au niveau européen. Débarrassé du poison du chacun pour soi, le contexte créé, particulièrement vertueux, continue de générer de l’amélioration des conditions de vie pour tous.
Les paysans qui avaient signé « Le Serment des 103 » qui les engageait à ne pas céder à l’Armée, ce qui a grandement participé à la victoire, ont retrouvé durant la décennie suivante la jouissance des terres et la quiétude de leur métier. Mais dans un contexte fondamentalement différent qu’ils ont décidé et mis en œuvre ensemble : la propriété privée en est bannie. Ensemble, ils créent La Société civile des terres du Larzac (SCTL) à qui l’État socialiste accepte de céder par bail emphytéotique la gestion des quelque 6300 hectares de terres qui étaient et restent sa propriété. Les occupants, aujourd’hui au nombre de 195 (2022), majoritairement exploitants agricoles, mais aussi usagers non agricoles, ne seront jamais propriétaires, bien que leur bail soit inaliénable jusqu’à ce qu’ils cessent leur activité. Au-delà du fermage annuel classique lié à la valeur des biens, ils achètent en arrivant un droit d’usage calculé au plus juste, qu’ils revendront, diminué de la vétusté et augmenté des améliorations réalisées durant l’occupation. Pas de spéculation, d’accaparement de terres, de rêve d’avaler le voisin, pas de Safer ni de coups tordus.
Au terme de 40 ans d’existence, ce remarquable projet de Commun autogéré s’est consolidé progressivement par des procédures décidées collectivement, qui en assurent la cohésion et la pérennité et favorise grandement la convivialité. Sur le plan agricole, c’est la seule région de France qui voit son nombre d’exploitations en hausse et les pratiques agroécologiques ont tendance à se généraliser. Naturellement, d’autres outils de gestion en commun pour la satisfaction de besoins partagés se développent : gestion des forêts et du bois, rénovation du bâti, production d’énergies renouvelables, formation, association vétérinaires-éleveurs, actions culturelles…
Un modèle remarquable, mais peu connu qui témoigne de ce qu’il est possible d’entreprendre partout et dans beaucoup d’autres domaines pour nous émanciper d’un système fou qui mène au précipice.