250 ans de libéralisme borné
S’il ne s’agissait d’humanisme, on pourrait qualifier de marronnier la manie de nos gouvernants de légiférer sur l’immigration : 18 fois entre 1996 et 2021, 29 depuis 1980. Et la main sur le cœur, les droites jurent que c’est une demande prioritaire des Français.
Sauf qu’un sondage IFOP de cette année rapporte que la présence de clandestins est la 5ème préoccupation des électeurs RN et la 10 ème pour l’ensemble des Français. Ce déficit d’empathie envers des gens dont nous avons très souvent détruit les conditions d’existence par l’esclavage puis le colonialisme, qui risquent leur vie par désespoir, ne nous ressemble pas, les sondages en attestent. Mais elle constitutive d’un modèle économique qui résulte d’une affabulation antidémocratique qui dure depuis plus de 2 siècles.
Il faut remonter au XVIII siècle pour comprendre comment les économistes ont évincé le social et pris le pouvoir, en s’appuyant sur quelques facteurs historiques et beaucoup de mauvaise foi. D’abord un ras le bol général des guerres, notamment de religions qui, fratricides, déchiraient durablement le tissu social. Puis, issue des Lumières, la rationalité gagne l’économie et l’esprit des marchands. Enfin les progrès techniques sont boostés par les découvertes dont le charbon. La bourgeoisie y trouve les circonstances favorables à l’avènement de ce qui deviendra le libéralisme économique sur lequel s’épanouira le capitalisme. Une citation de l’écrivain hollandais Mandeville résume bien le projet : « soyez aussi avides, égoïstes, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens ». Le ruissellement macroniste avant l’heure.
Ces perspectives nouvelles devaient amener durablement la paix, la prospérité (entendu : la croissance économique permanente), et la Richesse des nations. C’est le titre d’un ouvrage d’Adam Smith, publié en 1776 où la promotion de l’égoïsme et du vice, rebaptisés « amour de soi », devient le fer de lance de l’économie dite moderne toute à la gloire du marché. Il est censé être vertueux parce qu’uniquement régulé par le bras invisible qui organise les échanges et harmonise les intérêts individuels et collectifs. Bien sûr, un rôle minimum est attendu de l’État : faire respecter le droit, c’est-à-dire leurs règles, en laissant de côté toutes les valeurs morales qui prévalent et assurent depuis des millénaires la cohésion des communautés, en dépit de tout.
Deux bons siècles plus tard, nous savons ce qu’il en a été d’un progrès qui, au-delà des guerres, des armes nucléaires, du colonialisme, du nazisme et du stalinisme, de la désocialisation, de l’abêtissement organisé, du consumérisme, du pillage des ressources naturelles… nous amènent à léguer aux générations futures un monde apocalyptique. Mais les mêmes, les élites toujours dominantes, qui osent encore défendre la croissance comme remède, promeuvent toujours l’égoïsme au travers de la xénophobie et du racisme derrière le masque sécuritaire.
C’est d’autant plus grave que s’il reste un espoir de réduire la cause principale des catastrophes annoncées, la surconsommation, cela passe par la réhabilitation des valeurs humaines que les libéraux ont tenté de détruire : la solidarité, la générosité, l’égalité, la coopération. Ce que l’écrivain anglais Georges Orwell appelait common decency, décence commune. Laissons-lui la conclusion, extraite d’une lettre datant de 1940 mais toujours d’actualité : « (…) il serait possible d’opérer une réelle amélioration de la vie humaine (…). Mon principal motif d’espoir tient au fait que les gens ordinaires sont toujours restés fidèles à leur code moral. »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Adam_Smith
https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Orwell