CONSOMMER EST-IL UN PROBLÈME ?

Cette question peut paraitre naïve, voir incongrue. Quelle idée de penser que consommer puisse être problématique, il est évident qu’il nous faut consommer, comment pourrions-nous survivre autrement ? Précisons d’emblée la question, le problème s’il y en a un, réside dans notre propension à consommer au-delà de nos besoins, bref à surconsommer.

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Lorsqu’on tend l’oreille vers les débats tournants autour des bouleversements socio-économiques qu’engendreront les crises à venir, cette tendance à la surconsommation est souvent négligée, voir perçue comme allant de soi et comme une réalité dorénavant indépassable de nos sociétés modernes. Tout au plus, on parle de consommer autrement, mais le consommer moins et avec sobriété est une proposition qui semble étrangler celui qui la prononce et effrayer avec contestation indignée ceux qui l’entendent.

Il est vrai qu’il est difficile de se décaler de l’injonction à consommer. En effet, la consommation est devenue la finalité ultime et absolue pour laquelle l’ensemble de notre système économique s’ébranle tous les jours. Toute notre organisation socio-économique repose sur l’obligation à trouver des débouchés de vente à la gigantesque production créée chaque seconde partout sur terre. Il faut consommer plus, pour pouvoir toujours produire plus, maintenir la croissance et ainsi conserver un système économique planétaire en équilibre. Il est donc évident lorsqu’on appartient à cette civilisation, que s’en dégager pour la contester peut paraitre inapproprié. La consommation est le moteur d’une économie florissante, une force créatrice d’innovation, un acte pourvoyeur d’emplois et la voie royale vers le bonheur qui nous est promis. Et puis se faire plaisir et profiter de la vie c’est quand même chouette, faites taire tous ces rabat-joie qui envisagent le contraire !

D’ailleurs, pour installer ce modèle et le rendre incontestable, tout a été fait pour que la consommation devienne une dimension centrale de nos existences. Elle est devenue une source d’épanouissement personnel, un symbole de réussite et de distinction sociale. Pour le dire autrement, la consommation est la finalité de l’organisation capitaliste de l’humanité, qui pour se maintenir entend faire en sorte qu’elle en devienne le sens intrinsèque de nos existences. La consommation est devenue une idéologie qui a insidieusement infiltré les tréfonds de notre identité où la devise « je consomme donc je suis » est perçue chez beaucoup comme l’expression naturelle de notre liberté et de notre nature humaine.

Il est donc très inconfortable dans ce cadre de référence d’oser critiquer la consommation. D’ailleurs pourquoi le faudrait-il ? Et nous y revenons, où est le problème ?

Le souci au sein de cette architecture socio-économique aux prétentions parfaites, c’est que la production, l’acheminement et la distribution de tous ces biens visant à satisfaire notre soif de consommer ont des impacts, des conséquences dramatiques qu’il est de plus en plus difficile de considérer comme négligeables. Les externalités négatives commencent sérieusement à se faire sentir et le rapport bénéfices – risques à pencher du mauvais côté.

Impacts environnementaux d’abord, par notre consommation nous participons à la dévastation de la nature. L’exploitation des ressources provoque leur épuisement et l’effondrement de la biodiversité. L’usage d’énergies fossiles nécessaires à notre approvisionnement enclenchent des changements climatiques irrémédiables et des catastrophes naturelles aux conséquences effrayantes pour l’avenir de l’humanité.

Impacts sociaux aussi, les conditions de travail de millions de personnes pour satisfaire à notre consommation au meilleur prix deviennent inhumaines. Les inégalités sociales qu’engendrent un consumérisme réparti inéquitablement au sein des populations où le pouvoir d’achat s’essouffle, tout en stimulant la comparaison sociale et l’aiguisement des désirs, crée de la frustration et rancœur pouvant conduire à des désordres sociaux comme la crise des gilets jaunes ou des mouvements migratoires propices à déstabiliser les nations.

Impacts psychologiques, le sentiment de frustration des individus en permanence soumis à l’injonction à consommer épuise les âmes et crée des masses de personnes désorientées dans le sens à apporter à leur existence. Elles ressentent le profond décalage entre leurs aspirations profondes à être et l’obligation ressentie à participer au grand manège consumériste pour vivre. Les modes, l’obsolescence programmée, le zapping, les vitesses d’innovations, la course à la performance, la compétition, l’injonction au bonheur, la primauté du paraitre… la quête du toujours plus et toujours mieux martelé par le marketing entraine des dégâts psychiques chez d’innombrables personnes qui n’en peuvent plus. Les burn-out professionnels en sont l’indicateurs. Le travail qui génère un revenu pour garantir un pouvoir d’achat et de consommation ne suffit jamais à combler le vouloir d’achat attisé en permanence. C’est l’épuisement puisque l’on est prêt à se soumettre à toutes les exigences du travail pour ne pas renoncer aux sirènes de la consommation. Ce n’est pas tant être exclu du travail qui désocialise mais bien être exclu de l’organisation consumériste de la vie qui terrorise les foules.

Impacts sur la liberté et la démocratie enfin, l’utilisation massive de techniques de marketing à des fins lucratives manipule les individus, impose un modèle culturel et substitue les authentiques aspirations des personnes par des « envies » pré-fabriquées visant à l’accroissement des profits du monde marchand. Des puissances financières se créent et pèsent sur les démocraties en dictant aux autorités publiques les règlent qui leur conviennent pour maintenir leur modèle et font pencher insidieusement les scrutins électoraux à leur convenance.

En conclusion, oui consommer est devenu un problème pour la vie sur terre et pour nos aspirations à la liberté et au bonheur. Il sera impossible de résoudre les grands enjeux de ce siècle si cette question de la consommation n’est pas abordée frontalement. Nul besoin d’incriminer un autre responsable, nous sommes tous concernés et acteurs pour influencer cette situation. Plusieurs modes d’action sont possibles et existent déjà, mais la prise de conscience demeure encore la première étape nécessaire chez nombres de contemporains. 

« La liberté n’est que l’ignorance des causes qui nous déterminent ». En suivant cette assertion de Spinoza peut-être pourrons-nous espérer nous libérer du consumérisme.

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Références :

DESAUNAY C., (2021), La société de déconsommation. La révolution du vivre mieux en consommant moins, Paris, Gallimard, Collection Alternatives.

EGGER M-M., (2020), Se libérer du consumérisme. Un enjeu majeur pour l’humanité et la terre, Genève, Editions Jouvence.

MOATI P., (2016), La société malade de l’hyperconsommation, Paris, Odile Jacob.

 

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